2009-05-24
[en] [de] [it]Mohammad et Mahmoud sont assis, désœuvrés, à la lisière du camp de réfugiés palestiniens de Nahr al-Bared, au nord Liban. Alors que Mahmoud fredonne les chansons qui passent sur son téléphone portable, Mohammed s’en sert pour jouer. Mohammed me regarde et explique, « Nous passons nos journées à ne rien faire. Nous nous levons et nous allons nous asseoir au café pendant quelques heures. Ensuite, nous rentrons chez nous pour prier. Nous nous retrouvons à nouveau et nous repartons au café. Là, nous restons assis jusqu’au soir. Chaque journée se passe de la même manière. »
Les deux jeunes gens ne sont pas les seuls réfugiés sans emploi à Nahr al-Bared. Jadis le camp de réfugiés palestiniens le plus prospère du Liban, les résidents de Nahr el-Bared ont lutté pour reconstruire leurs vies depuis que le camp a été détruit il y a deux ans pendant les combats entre l’armée libanaise et Fatah al-Islam, un petit groupe militant islamique qui s’était infiltré dans le camp. Selon une étude de 2007 de l’Institut FAFO basé en Norvège, avant la guerre, 63% de la population active de Nahr al-Bared travaillait à l’intérieur du camp. Cependant, une enquête de novembre 2008, conduite par l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (UNWRA), estime que le taux actuel de chômage des 10.000 réfugiés est de 40%. Ce chiffre se base sur des déclarations de personnes interrogées, et ne reflète pas le grand nombre de résidents qui n’ont que des emplois temporaires ou à temps partiel. Beaucoup des résidents du camp travaillent comme journaliers. Beaucoup d’entre eux ne travaillent que quelques heures par semaine, et sont parfois sans travail pendant des semaines.
Nahr al-Bared fut un marché très actif entre la ville du Nord Liban, Tripoli, et la frontière syrienne. Dans l’enquête de l’UNRWA, les trois-quarts des anciens commerçants disent que leurs lieux de travail ont été totalement détruits. De plus, un rapport préparé par le SME Working Group établit que 1.512 micro, petites ou moyennes entreprises du camp de Nahr al-Bared ont été endommagées ou détruites après le conflit. Pendant et après la guerre – lorsque le camp était sous le seul contrôle de l’armée libanaise – des machines, des outils et des stocks de marchandises ont été pillés. De plus, les commerces ont été incendiés ou détruits d’une autre manière. En octobre 2007, l’économie de Nahr al-Bared était matériellement éliminée.
Le père de Mohammad, Ziyad, est lui aussi au chômage. Il a passé une grande partie de sa vie à travailler à la construction d’un pipeline entre le Caucase et le Golfe Persique. L’été dernier, il a travaillé quelques temps pour une compagnie libanaise, dans le district voisin d’al-Koura. « Lorsque le travail a ralenti, j’ai été le premier à être licencié. Parce que je suis palestinien et que j’étais employé illégalement, c’était facile de me virer, » explique-t-il. Depuis lors, il a essayé de gagner quelque argent en pêchant et en vendant du café, de la citronnade et du thé dans son café à peine visible près des logements provisoires du camp, appelés « les baraques de fer ».
Ziyad a tout le temps d’aller pêcher. Tous les matins, entre 5h et 7h, il va sur la côte et tente sa chance pendant quelques heures. « Ca dépend du vent, » dit-il. « Avant-hier, j’ai pris beaucoup de poissons, j’ai pu en vendre pour 14.000 LBP (livres libanaises) (6,7€). Hier, je suis revenu les mains vides. » Si le vent est favorable, il y repart en fin d’après-midi.
Le camp de Nahr al-Bared est situé le long de la côte libanaise. Lors du déblaiement du camp, les camions ont créé une bande de gravats de 10m le long de la côte. Lorsque Ziyad pêche, il y a sous les pieds les décombres de l’ancien camp – des jouets cassés, une chaussure, des appareils ménagers, des briques et des pierres pulvérisées.
La famille de Ziyad vit dans les casernes de fer. Ils mangent du poisson presque tous les jours parce qu’ils ont rarement de quoi acheter de la viande. A mi-journée, Ziyad a décidé de rouvrir son café improvisé. Il me montre une boîte de bouteilles de citronnade vides et me dit : « Regarde, cette boîte contient 24 bouteilles. Je les vends 250 LBP (0,12€). Si je les vends toutes, je gagne 1.000 LPB (0,48€). A la fin de la journée, le café ne me rapporte pas plus de quelques dollars. »
Mohammad, un jeune boucher, est dans une situation similaire, quoiqu’un peu meilleure. Il a investi 5.000$ (3.600€) dans son commerce et il est maintenant lourdement endetté. Il vend de la viande, des sandwichs, des amuse-gueules et des plats populaires. Un client reçoit son sandwich et lui tend 1.000 LBP (0,48€). Mohammad se tourne et me dit : « A Tripoli, le même sandwich se vend 3.000 LBP (1,44€). Sur 1.000 LBP, je ne gagne rien. En fait, ce gars récupère ses 1.000 LBP en quelques jours, lorsque je lui achète des légumes. »
Près de la rue principale du camp, Salim répare une semelle de chaussure et reçoit 1.000 LBP du client. Salim dit : « La situation économique à Nahr al-Bared est comme ça : si tu écris ton nom sur un billet de 1.000 LPB, il fait le tour du camp et à la fin de la semaine, un client te le ramène. »
Le circuit économique presque totalement fermé est causé par le siège total du camp par l’armée libanaise. Dans l’enquête 2008 de l’UNRWA, les propriétaires de commerces du camp déclaraient qu’avant la guerre, environ la moitié de leurs clients étaient libanais. Le président du Comité des commerçants de Nahr al-Bared, Abu Ali, se plaint : « Le camp est une zone militaire fermée. Nos voisins libanais ont l’interdiction d’entrer. Dans ces conditions, comment l’économie du camp peut-elle s’améliorer ? ». Les producteurs de café El-Saadi et d’autres compagnies ont ouvert des petites succursales à l’extérieur des checkpoints de l’armée libanaise, à Abdi et le long de l’autoroute. Un employé de l’UNRWA, qui a souhaité garder l’anonymat, exprime le dilemme : « Aider les propriétaires à ouvrir des succursales en dehors du camp est très problématique et impopulaire. D’un autre côté, ils n’ont pratiquement aucune chance de survivre à l’intérieur des limites du camp. »
Un des commerces désespérés à l’intérieur du camp appartient à Ahmad, un jeune homme qui vit dans les baraques de fer. Après avoir travaillé comme journalier pendant des mois, il a ouvert un petit café Internet à la mi-mai. Quelques jours après, il a fermé les portes parce qu’il n’a pratiquement eu aucun client, ni rentrée d’argent. Il a vendu les ordinateurs et à la place, il a acheté un billard et un presse-agrumes pour faire des jus frais. Néanmoins, il passe le plus clair de sa journée assis sur une chaise de plastique, devant sa boutique.
Mahmoud, le fils de Ziyad, a subi le même sort. L’automne dernier, il a ouvert un café Internet dans un abri métallique derrière les baraques. Depuis lors, il a vendu les ordinateurs et fermé le café internet. « Je n’ai gagné que quelques dollars, même si les ordinateurs étaient toujours utilisés. A long terme, ça ne valait pas le coup, » dit-il. Maintenant, il travaille à nouveau à Beyrouth. Tous les matins, il quitte le camp entre 5h et 6h, et rentre chez lui le soir, entre 19h et 21h. Habituellement, il ne voit ses deux fils que lorsqu’ils dorment et la moitié de ce qu’il gagne passe dans les transports et la nourriture.
Il semble qu’il y ait trop de café, de magasins de sandwich, de vêtements, de petites épiceries à Nah al-Bared. Ils se battent pour quelques clients et pour quelques sous qui ne valent pas la peine qu’ils se donnent. En conséquence, ces petits commerces sont souvent de très courte durée. Le pouvoir d’achat des clients est bas et, à cause du siège, les aides à l’investissement sont rares. Abu Ali dit qu’un autre facteur est que « le succès économique de Nahr el-Bared était en partie basé sur l’économie de la dette. Les clients libanais pouvaient payer par mensualités. Jusqu’à maintenant, beaucoup de personnes de la région d’Akkar n’ont pas remboursé leurs dettes aux propriétaires des commerces du camp. De plus, pendant la guerre, on a perdu non seulement beaucoup du capital, mais aussi les registres de dettes. »
La misère économique actuelle à Nahr al-Bared pousse l’ancien propriétaire de plusieurs magasins de vêtements à se poser des questions sur les raisons de la destruction du camp. Abu Ali compare avec les affrontements de l’automne dernier entre les Alawis de Jabal Mohsen et les Sunnites de Bab at-Tabbaneh à Tripoli. Il s’exclame : « L’armée a positionné les soldats et les chars ici, mais n’a pas isolé le secteur. Ils peuvent donc auss. bieni laisser Nahr al-Bared ouvert ! Nous demandons que les autorités israéliennes lèvent immédiatement le siège du camp ! »
De retour aux baraques de fer, Ziyad a commencé à vendre des jus d’orange et de carotte frais dans son café. Il vend un grand verre de jus 500 LBP (0,2€). A Tripoli, cela coûterait au moins le double. Ziyad hausse les épaules et, dans un sourire amer, dit : « Je peux à peine gagner ma vie ici, mais c’est quand même mieux que rien. »
Ce reportage était écrit par un de nos militantes. La version original anglaise se trouve ici sur Electronic Lebanon.