Jan 18, 2000

reportage: "Le redressement économique de Nahr al-Bared entravé par le siège militaire"

2010-01-18
[en] [de]
Plus de deux ans après la fin des combats, le camp de réfugiés de Nahr al-Bared dévasté par la guerre, situé au nord Liban, est loin du modèle de camp que le gouvernement libanais a promis qu’il deviendrait. Au lieu de cela, la reconstruction du camp est retardée, la zone est sous contrôle militaire avec accès limité, l’économie du camp est au point mort et les habitants sont pour la plupart sans emploi.

A la suite de 15 semaines de guerre pendant l’été 2007 entre l’armée libanais et le groupe militant Fatah al-Islam, qui a occupé des parties du camp, Nahr al-Bared a été totalement détruit.

Jusqu’à aujourd’hui, près des deux-tiers de ses 30.000 habitants sont revenus et se sont réinstallés à la périphérie du camp. Jihad Awed est l’un d’entre eux ; assis en face de son minuscule magasin de vêtements, il parle du bon temps d’avant la guerre. « Mon magasin était plus grand et je vendais plus d’articles. Je m’en sortais bien. Je vendais pour 130 à 200$ par jour. »

De retour à Nahr al-Bared après la guerre, Awed a commencé à vendre des chaussures mais ce fut la faillite. Il a vendu les bijoux de sa femme et a ouvert un nouveau magasin, qui ne lui rapporte que 30$ par jour. « Je ne peux pas en vivre. Le loyer est de 100$ par mois. J’achète les cigarettes et le café et je n’ai plus rien, » explique Awed.

Charlie Higgins, directeur de projet pour la reconstruction de Nahr al-Bared auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UN Agency for Palestine refugees - UNRWA), qualifie la situation économique dans le camp de « bloquée ». Higgins dit : « Elle n’a pas beaucoup changé depuis les premiers mois qui ont suivi la fin des combats. L’économie ne s’est pas régénérée et la situation de l’emploi ne s’est pas améliorée de façon significative. »

Il explique que les résidents continuent de vivre dans un environnement provisoire et une partie d’entre eux n’est pas revenue à Nahr al-Bared. Le camp a également perdu ses liens avec les communautés libanaises environnantes. Higgins déclare que « la zone reste à l’intérieur d’un périmètre militaire, ce qui a de fait régulé et, jusqu’à un certain point, empêché le rétablissement de l’intégration étroite qui existait avant. »

Evidemment, la plupart des commerçants de Nahr al-Bared invoquent le manque de clients venant de l’extérieur pour expliquer leur situation très difficile. Nasser Nassar, qui remplit et vend des bouteilles de gaz, affirme que « les checkpoints et le siège [de l’armée libanaise] sont les problèmes les plus importants». Il explique que contrairement à ce qui se passait auparavant, les clients libanais préfèrent acheter en dehors du camp, ajoutant, « pourquoi viendraient-ils dans le camp, avec la nécessité d’obtenir des permis, de se soumettre à des fouilles et aux contrôles de leurs papiers d’identité ? »

Contrairement aux autres camps de réfugiés du Liban, Nahr al-Bared était jadis un centre d’activité économique ouvert pour la région toute entière. Selon une enquête de 2008 de l’UNRWA, environ la moitié des clients étaient libanais. Depuis que les combats ont cessé, l’armée libanaise a maintenu son contrôle sur ce qui reste du camp, y compris sur le centre détruit et le secteur adjacent lourdement endommagé, ainsi que sur la population palestinienne réfugiée qui était chez elle à Nahr al-Bared. L’accès au camp n’est possible qu’avec des permis spéciaux fournis par le service des renseignements de l’armée.

Différentes ONG ont essayé d’aider l’économie de Nahr al-Bared. Première Urgence (PU) a garanti à 220 entrepreneurs des subventions en nature. Julien Mulliez, chef de mission à Première Urgence, dit : « Le redressement de l’économie est à l’évidence compromis par les conditions actuelles d’accès à Nahr al-Bared. Le problème est que l’accès au camp dépend d’une autorisation préalable [de l’armée libanaise], entraînant une diminution des clients visitant le camp. »

La ligue des Femmes palestiniennes arabes (Palestinian-Arab Women's League - PAWL) a conduit cinq projets similaires. Sahar Itani, coordonnateur de programme à PAWL, dit qu’elle craint pour la viabilité des commerces des bénéficiaires. « C’est à cause du fond de clientèle limitée actuellement disponible sur le marché de Nahr al-Bared, » explique-t-elle. « Nous avons atteint une situation de saturation du marché. »

Dans son magasin de vêtements, Awed se plaint que les marchands du camp vendent entre eux. « L’argent circule en interne. Rien ne rentre, » dit-il.

Hassan Mawed, président du comité des commerçants de Nahr al-Bared, estime que les Libanais représentent moins de cinq pour cent de tous les clients actuels. Selon lui, « c’est loin d’être suffisant pour relancer l’économie de Nahr al-Bared. En fait, ce qui se passe dans le camp est une sorte de troc. »

Sakher Sha’ar est coiffeur et son salon est situé dans l’ancienne rue principale de Nahr al-Bared. Sha’ar se plaint du manque de travail, expliquant que « Il y a 29 salons ici. Dans la mesure où personne ne vient de l’extérieur, c’est beaucoup trop pour le secteur. »

Quelques pâtés de maisons plus bas, Salim Mawed tient une boutique de barbier. Il dit que ses ventes quotidiennes s’élèvent à environ 20$, comparées à environ 35$ avant la guerre, lorsqu’il a acquis sa boutique. « Maintenant, il faut que je paie le loyer du salon, les outils, etc. » dit-il. « A la fin, il ne reste rien. »

Avant la guerre, environ les deux tiers de la main d’œuvre de Nahr al-Bared travaillaient dans les limites du camp. Parce que les réfugiés palestiniens sont confrontés à une lourde discrimination juridique et sociale sur le marché du travail libanais, travailler en dehors du camp est difficile. Le manque de travail a poussé beaucoup à émigrer. Mawed dit que « s’ils ouvraient la porte à l’émigration, personne ne resterait. Et je serais le premier. Je laisserais tout ici. »

Depuis la mi-octobre, l’armée libanaise a autorisé les citoyens libanais à entrer dans le camp sans permis spéciaux, mais seulement par le checkpoint al-Abdi, du côté nord du camp. Cependant, le changement de procédure de l’armée a ni attiré plus de clients libanais ni facilité l’accès au camp.

Un journaliste qui a tenu à rester anonyme est récemment entré à Nahr al-Bared, avec un ami libanais. « Nous avons dénombré 11 ordres et questions pour avancer de 10 mètres : ‘Vos papiers d’identité ! Descendez de voiture ! Mettez vous sur le côté ! Garez-vous !’ C’est terrible. C’est une zone civile, pas une base militaire ! C’est une punition collective de la population. »

Une employée libanaise d’une ONG travaillant à Nahr al-Bared demandant l’anonymat dit qu’elle se sert toujours de son permis, bien qu’elle puisse entrer sans, car l’accès est plus facile et plus rapide : « Je préfère passer 20 à 30 minutes de plus dans notre bureau à aider les gens plutôt que d’attendre que mon nom soit vérifié. »

Le gouvernement libanais a déclaré qu’une fois reconstruit, le camp de Nahr al-Bared deviendrait un modèle de relations meilleures entre les réfugiés palestiniens et leurs hôtes libanais. Mais Hassan Mawed est fatigué d’entendre ces paroles encore et encore. Levant la voix, il demande, « Un modèle de quoi ? Un modèle de prison ? De siège, de checkpoints et d’humiliation ? Ce devrait être un modèle qui nous donne la liberté, les droits civiques, le droit à travailler et à la propriété ! »

Réagissant aux réclamations croissantes des résidents, des médias, des organisations et partis locaux ainsi que des organisations internationales travaillant à Nahr al-Bared, l’armée a diffusé récemment une déclaration affirmant que les dispositions sécuritaires « visaient d’abord et avant tout à préserver la sécurité des personnes en empêchant l’infiltration de terroristes et de personnes recherchées, la contrebande d’armes, d’explosifs et de matériel illégal. »

Toutefois, Marwan Abdulal, le responsable de l’Organisation de Libération de la Palestine chargé de la reconstruction de Nahr al-Bared, a demandé que l’armée lève le siège du camp. Selon Abdulal, « La première condition pour le redressement de l’économie du camp et la vie sociale, c’est le retrait des checkpoints, ou au moins, la suppression des permis. »

De la même manière, Charlie Higgins, de l’UNRWA, considère que les dispositions sécuritaires de l’armée libanaise sont « une barrière importante au redressement du camp dans tous ses aspects. »

Il n’est pas sûr que le gouvernement libanais et l’armée répondent à ces plaintes et autorise Nahr al-Bared à être reconstruit, ou si le siège restera en place et les promesses non tenues.

Ce reportage était écrit par Ray Smith. La version original Anglaise a été publié ici par Electronic Lebanon.