2010-01-18
[en] [de]Les récents affrontements inter-factions dans le camp de réfugiés d’Ain al-Hilweh au Liban illustrent une fois de plus la situation sécuritaire fragile dans certains des camps palestiniens. Les Palestiniens ont refusé les projets libanais de gérer la sécurité à l’intérieur des camps.
La nouvelle année avait à peine commencé que les bruits des tirs et des roquettes ont retenti dans le camp d’Ain al-Hilweh, à la périphérie de la ville libanaise côtière de Saida. Le clash le plus récent a éclaté lorsque des combattants appartenant au groupe militant islamique Jund as-Sham ont attaqué un bureau du mouvement Fatah, mouvement dominant à l’intérieur du camp. Les tirs féroces ont été contenus et finalement arrêtés quand le comité de sécurité du camp est intervenu.
Ain al-Hilweh et d’autres camps de réfugiés abritent des groupes nationalistes palestiniens divers, mais aussi différentes forces islamistes que le gouvernement libanais considère comme une menace à la sécurité et à la stabilité de l’Etat. En 2007, un de ces groupes, appelé Fatah al-Islam, s’est engagé dans 15 semaines de bataille contre l’armée libanaise, à Nahr al-Bared, le camp le plus au nord du pays. Nahr al-Bared a été réduit à des décombres, et 30.000 personnes ont fui.
Le Liban héberge environ 250.000 réfugiés palestiniens, dont beaucoup vivent dans 12 camps de réfugiés officiellement reconnus. Ils n’ont pas de droits à l’éducation et à l’emploi comparables aux Libanais. L’accord du Caire de 1969 a placé les camps sous contrôle de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et a interdit aux forces libanaises de sécurité d’y entrer.
Bien que le gouvernement libanais se soit retiré de l’Accord du Caire à la fin des années 1980, et ait récupéré en théorie son pouvoir sur les camps, l’Etat s’est abstenu d’y exercer son autorité. D’un point de vue politique, les camps ont été dirigés par des comités populaires, tandis que les comités de sécurité ont joué le rôle de force de police intérieure.
En 2006, quand Fatah al-Islam s’est cependant infiltré à l’intérieur de Nahr al-Bared, le camp n’avait qu’un comité populaire faible et pas de comité de sécurité en fonction. Les parties palestiniennes étaient divisées et, en conséquence, n’ont pas réussi à repousser le groupe islamiste bien armé hors du camp, lui permettant en fait de s’en emparer.
En 2008, lors de la conférence internationale des donateurs pour la réhabilitation et la reconstruction de Nahr al-Bared, le gouvernement libanais a déclaré qu’une fois reconstruit, le camp ne « reviendrait pas au statu quo ante environnemental, social et politique qui a facilité sa prise par des terroristes, » mais serait placé sous son autorité.
Il a annoncé que l’autorité de la loi serait appliquée dans le camp par la communauté et une police de proximité par les Forces de la Sécurité Intérieure (Internal Security Forces - ISF). Désignant le camp détruit comme un lieu d’expérimentation, le gouvernement a souligné que le succès à Nahr al-Bared fournirait un modèle de sécurité pour les autres camps de réfugiés palestiniens.
En octobre 2009, une délégation des ISF est allée aux Etats Unis pour étudier la police de proximité. La visite faisait partie d’un programme financé par le Bureau des Narcotiques et du Respect des Lois du Département d’Etat des Etats-Unis (U.S. Department of State's Bureau of Narcotics and Law Enforcement). L’aide de ce programme comprend la construction d’un poste de police des ISF et de l’équipement, comme des véhicules de patrouille et du matériel de service. Depuis 2006, le gouvernement des Etats-Unis a alloué au Liban plus d’un demi-milliard de dollars d’aide à la sécurité.
La police communautaire est une approche du travail policier dans des zones spécifiques et bien définies. En théorie, elle se construit sur des liens mutuellement bénéfiques entre la police et les membres de la communauté, et met l’accent sur le partenariat communautaire et la résolution des problèmes. La police communautaire bénéficie de l’expertise et des ressources existant à l’intérieur des communautés.
Marwan Abdulal, membre de l’OLP chargé de la reconstruction de Nahr al-Bared, n’aime pas l’idée d’implanter ce concept dans les camps. « Il ne prend pas en compte les particularités du Liban et de la présence des Palestiniens au Liban, » dit-il. Si la loi libanaise demeure discriminatoire et si elle est appliquée à Nahr al-Bared, il dit que l’expérience est vouée à l’échec.
« Le concept est à la mode. Le mot ‘communauté’ se vend bien, » dit Amr Saededine, journaliste indépendant. D’après lui, la police de communauté va faire que les gens vont s’épier les uns les autres, et faire des rapports au service de sécurité. Ghassan Abdallah, directeur général l’Organisation Palestinienne pour les Droits de l’Homme, se réfère à des sondages indiquant qu’une grande majorité des réfugiés ne fait pas confiance aux forces libanaises de sécurité, et refuse qu’elles contrôlent les camps.
Beyrouth et le palais du gouvernement sont loin des ruines, des gravats et des rues boueuses de Nahr al-Bared. Ici, la réalité est différente. Plus de deux ans après la guerre, environ 20.000 réfugiés sont revenus à la périphérie du camp, qui est toujours entouré par les postes militaires, les fils de fer barbelés et cinq points de contrôle. L’accès pour les Palestiniens et les étrangers n’est autorisé qu’avec des permis spéciaux délivrés par le Mukhabarat, le service de renseignements de l’armée libanaise.
Le Mukhabarat patrouille constamment dans les rues et a recruté une foule de nouveaux informateurs. Une atmosphère de crainte s’est répandue à travers Nahr al-Bared. On évite de parler de sujets sensibles comme l’Etat libanais ou l’appareil sécuritaire en présence de gens qu’on ne connait pas.
Des femmes en particulier sont recrutées. Les informateurs sont principalement payés en cartes téléphoniques. D’autres reçoivent des bénéfices pratiques comme un accès facilité au camp. Un travailleur social, qui a voulu rester anonyme, dit : « C’est comme si on avait implanté dans la société un virus dont il est difficile de se débarrasser ». Vivant sous un régime militaire et sans comité de sécurité, les résidents du camp sont incapables de sévir contre les informateurs.
Le contrôle de l’armée sur la vie quotidienne « fait exploser les gens à un moment donné, » dit Sakher Sha’ar, coiffeur dans la rue principale de Nahr al-Bared. « Pourquoi nous traitent-ils de cette manière ? Pourquoi ne nous traitent-ils pas comme les habitants des communautés libanaises environnantes ? Nous ne sommes pas leurs ennemis». Beaucoup de réfugiés se souviennent de la révolution palestinienne, dans les années 1960, qui fut une réaction à l’autorité humiliante de la branche du renseignement de l’armée, connue sous le nom de « deuxième bureau ». Le soulèvement est parti de Nahr al-Bared.
Il y a quelques mois, les ISF ont installé un poste de police sur le côté nord de Nahr al-Bared. Marwan Abdulal, de l’OLP, accueille favorablement les démarches qui tendent à transformer la zone militaire en zone civile. Mais il dit que « le problème est que lorsque les ISF sont entrées, l’armée est restée. » Il et clair que le rôle actuel des ISF dans le camp équivaut à zéro, tandis que l’armée continue de contrôler, d’intimider et d’arrêter les gens.
Le Ministre de l’intérieur libanais semble indécis sur la manière de laisser les IDS appliquer la loi. « Il faudrait qu’ils mettent tout le camp en prison, » dit le journaliste Amr Saededine. « La propriété, de nombreux métiers, l’ouverture d’un magasin, la création d’une organisation de la société civils sont interdits aux Palestiniens… » Une application sérieuse de la loi dans les camps par les ISF requerrait finalement un changement fondamental de la loi discriminatoire du Liban.
La question en jeu à Nahr al-Bared n’est pas seulement de ses futurs arrangements sécuritaires, mais celle de sa gouvernance en général. L’OLP s’est rendu compte du besoin d’une réforme du comité populaire. Abdulal suggère un organe civil semblable à une municipalité, composé des parties ainsi que des représentants de la société civile.
Sur la sécurité intérieure, l’OLP suggère l’autonomie pour contrer l’intention du gouvernement d’introduire la police de communauté. Evoquant le modèle réussi mis en œuvre en Syrie, Abdulal dit qu’il devrait y avoir une force de police palestinienne rattachée au comité populaire et se coordonnant avec les ISF qui resteraient à l’extérieur du camp.
Un modèle similaire a été mis en place, de façon informelle, dans la plupart des camps de réfugiés palestiniens du Liban. Leurs comités de sécurité se coordonnent avec les autorités libanaises et ont à maintes reprises livré des suspects à l’Etat.
Amr Saededine affirme que si une tentative sérieuse existait de réorganiser la gouvernance et la sécurité dans le camp, il faudrait voir comment la société elle-même avait l’habitude de résoudre ses problèmes, « mais parachuter le concept anglo-saxon de police de communauté sur les camps est irrationnel. »
Après que certains médias libanais aient fait état d’une attaque à la grenade incapacitante dans le camp de Rashidieyh, au sud Liban, Sultan Abu al-Aynan, un officiel du Fatah, les a accusés d’avoir gonflé exagérément une action personnelle et de l’avoir dépeinte comme ayant des dimensions politiques et sécuritaires. Il a affirmé que cette focalisation continuelle sur les Palestiniens comme problème de sécurité éclipsait leurs demandes pour des droits civils et sociaux.
Abdulal insiste sur le fait qu’il est impossible d’avoir une sécurité d’Etat libanaise sans sécurité humaine pour les Palestiniens. « Il doit y avoir un sentiment général de sécurité parmi les Palestiniens, dans le sens politique, économique, social et culturel. »
Au Liban, les Palestiniens continuent d’être vus seulement au travers du prisme de la sécurité. A Nahr al-Bared, le gouvernement a autorisé l’armée à jouer un rôle majeur dans le projet de reconstruction. Il a montré sa volonté de réviser son traitement des Palestiniens, et, enfin – après plus de 60 ans de présence – d’abolir la discrimination légale contre eux. Les développements actuels dans le dit laboratoire de Nahr al-Bared montre une imposition unilatérale d’autorité directe sur les Palestiniens plutôt qu’un « partenariat au bénéfice mutuel » entre eux et leurs hôtes.
Ce reportage était écrit par Ray Smith. La version original Anglaise a été publié ici par IPS Inter Press Service.