2009-12-29
[en] [de] [es]Avançant la nuit, la boue jusqu’aux chevilles, dans les rues sans lumière du camp de Nahr al-Bared, on est très surpris d’entendre les rythmes du hip-hop sortant des maisons des réfugiés et des baraques. De plus, les paroles émanent du camp, et elles sont courageuses.
« Je porte les soucis / de l’intérieur d’un camp détruit / Je prépare une attaque / Les mots tournent sans arrêt dans ma tête / Nahr al-Bared est clôturé de barreaux d’acier / Dans les journaux ils parlent de souffrances / Chaque mot a un sens ».
Farhan Abu Siyam (21 ans) est le premier et le seul rappeur de Nahr al-Bared. Son nom d’artiste est MC Tamarrod, qui se traduit par MC Rébellion. Ayant grandi dans les camps de réfugiés palestiniens de Nahr al-Bared et Bourj al-Barajneh, il sait que le hip-hop n’a pas une position facile dans la société palestinienne. « Beaucoup de gens n’aiment pas le rap parce qu’ils sont contre la musique occidentale et ses éléments, comme le rythme, » Explique Abu Siyam. Il demande à la communauté de donner une chance au rap, soulignant qu’il ne chante pas dans une langue étrangère mais utilise les mots et l’argot arabes. « Je rappe dans notre dialecte palestinien, dans la langue des camps où je suis né et où j’ai grandi. »
Abu Siyam dit qu’il s’inspire des groupes hip-hop 'Katibe 5' et 'I-Voice', du camp de réfugiés de Bourj al-Barajneh, et de groupes de rap en Palestine comme 'Ramallah Underground' ou 'DAM', dont on dit qu’ils sont les fondateurs du hip-hop palestinien. Leur style est loin d’être superficiel, divertissant et bling-bling. Les rappeurs palestiniens, généralement indissociables de leurs origines, mettent l’accent sur leur position marginalisée et opprimée et se servent de leurs mots comme d’armes dans leurs luttes politiques et sociales.
MC Tamarrod ne mâche pas ses mots. Il rappe sur la vie misérable de l’après-guerre dans le camp de réfugiés de Nahr al-Bared. Avec le collectif media autonome 'a-films', il a produit un vidéo clip court. Bougeant devant le mur criblé de balles d’un bâtiment incendié à Nahr al-Bared, il revisite la guerre de 2007 qui a dévasté le camp et rappe :
« Tu me demandes ce qui s’est passé ? / Ceux qui ont frappé ont fui / Ceux qui sont passés ont pillé / Et quelques-uns ont tout brulé »
Il y a deux ans et demi, le camp de Nahr al-Bared au nord Liban a été totalement détruit pendant et après une guerre entre les Forces Armées Libanaises (FAL) et le groupe militant non-palestinien Fatah al-Islam. Jusqu’à aujourd’hui, les deux tiers des habitants de l’ancien camp vivent à sa périphérie dans des maisons endommagées et des cabanes de fortune. Abu Siyam dit que beaucoup ont chanté et parlé sur Nahr al-Bared, « mais personne n’ose dénoncer la guerre, le désespoir et l’oppression dont nous souffrons. »
Nahr al-Bared est toujours bouclé et déclarée zone militaire par les FAL, qui tiennent cinq postes de contrôle autour du camp. L’accès au camp est limité et nécessite des permis spéciaux émis par le service secret des FAL ; les journalistes ne sont pas autorisés à travailler librement. « Nous sommes encerclés et nous vivons comme dans une prison à Nahr al-Bared. Dans d’autres camps, les gens peuvent aller et venir normalement, » dit Abu Siyam. La présence des FAL dans et autour de Nahr al-Bared est un des thèmes principaux sur lequel MC Tamarrod rappe :
« Je suis Palestinien et je ne me soumets pas à la loi de votre armée / Arrêtez de construire ce mur ! / Dès que je vous ai vu, j’ai su ce que vous vouliez / ‘Eh toi, donne-moi ta carte d’identité, où est ton permis ?’ »
L’armée libanaise affirme que les postes de contrôle et les permis sont nécessaires pour préserver la sécurité des gens « en empêchant l’infiltration des terroristes et des personnes recherchées, la contrebande d’armes, des explosifs et des matériels illégaux. » Cependant, beaucoup de réfugiés à Nahr al-Bared se sentent humiliés et opprimés par les FAL. Abu Wissam Gharib, leader du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) à Nahr al-Bared dit qu’il comprend que l’état de guerre nécessite une armée, « mais lorsque la guerre est terminée, pourquoi l’armée reste-t-elle ? » Au sujet des permis, il se demande pourquoi il peut voyager partout au Liban avec sa carte d’identité, mais il a besoin d’un permis pour rentrer chez lui à Nahr al-Bared.
Abu Siyam enregistre au studio al-Mukhayyamat, dans le camp de réfugiés palestiniens de Bourj al-Barajneh, dans la banlieue de Beyrouth. Bourj al-Barajneh est le berceau du hip-hop palestinien au Liban et le foyer des groupes rap I-Voice et Katibe 5. Les deux groupes ne ciblent pas seulement dans leurs paroles les différentes formes de discrimination que subissent les 250.000 Palestiniens au Liban, mais leurs rimes visent aussi l’establishment de leur propre société, accusant les ONG et les partis politiques d’être corrompus et de trahir la cause palestinienne. MC Tamarrod le fait aussi :
« Les partis sont à double face / Leur autorité est stupide / Renforcée par des mensonges / Leur politique est malade »
Abu Siyam a conscience de la force des paroles de ses raps. Cependant, il dit : « Nous ne sommes pas contre le système libanais, mais il nous prive de nos droits. » La jeunesse palestinienne, à l’âge d’Abu Siyam, ne voit pas un avenir positif au Liban. L’émigration est devenue, pour le moment, leur seul but. Beaucoup ont perdu l’espoir qu’après 60 ans de présence palestinienne au Liban, l’Etat leur garantisse les pleins droits au travail et à la propriété. Récemment, alors qu’une délégation d’un Etat donateur visitait Nahr al-Bared, les habitants des logements provisoires ne lui ont pas demandé davantage d’aides, mais des visas leurs permettant d’émigrer.
A Nahr al-Bared, la destruction du camp et de son marché jadis florissant, la très lente reconstruction et le siège continu du camp par les FAL ont conduit à un chômage généralisé. Charlie Higgins, directeur de projet pour la reconstruction de Nahr al-Bared à l’UNRWA, décrit la situation économique dans le camp comme « bloquée ». Il dit que ni l’économie ne s’est régénérée, ni la situation de l’emploi ne s’est améliorée de façon significative depuis la fin de la guerre.
Pendant ce temps, MC Tamarrod espère que si un jour Nahr al-Bared devait être reconstruit, il y aurait un studio de musique où il pourrait enregistrer ses chansons. A Beddawi, le deuxième camp de réfugiés palestiniens au nord du Liban, près de Tripoli, des structures sont disponibles mais produire une chanson lui coûterait entre 200 et 250 US$, dit-il. MC Tamarrod travaille actuellement sur deux nouveaux raps – et il devra aller à Beyrouth pour les enregistrer.
Ce reportage était écrit par Ray Smith. La version original Anglaise a été publié ici par IPS Inter Press Service.